Au parc, je rencontre Mélody, Hawa et Alissia . Je me promène , elles promènent le chien d’Alissia, un staff femelle de deux ans. On parle. Les trois copines ont entre 18 et 20 ans. Toutes trois veulent travailler dans le care. Pourquoi ?
C’est facile
Mélody a arrêté l’école à quatorze ans. Elle veut devenir aide à domicile « les mémés , je connais » dit-elle. Hawa veut devenir aide-soignante « comme maman ». Lorsque je lui demande si elle envisage une autre orientation, elle répond : « ce serait trop dur, aide-soignante ça va pour moi ». Dans la logique d’Alissia, animatrices et éducatrices sont des femmes qui s’occupent d’enfants et lisent des histoires. Comme des grandes soeurs ou des mamans. « Je peux le faire moi aussi ». Pendant un séjour en MECS, elle a lu des histoires aux « petits ». Le travail du care leur semble d’autant plus facile qu’elles y participent régulièrement à la maison comme apprenties et sous supervision , ponctuellement en stages ou dans le cadre de boulots non déclarés. Une cliente de la mère de Mélody lui a d’ailleurs proposé des gâches comme aide à domicile. « Cette mémé, elle m’adore » dit-elle. Aucune n’associe un besoin de compétence technique ou relationnelle à l’exercice des tâches effectuées par les femmes dont elles s’inspirent, ni aux métiers du care.
C’est naturel
Le futur des trois copines dans le care est globalement approuvé au nom d’une « nature féminine ». Elles sont confortées dans leurs choix des possibles. Alissia , persuadée qu’elle est faite pour travailler avec les enfants, est encouragée par toutes, en raison de sa bonne nature: « Parce que ça se voit, mes manières, tout ça. Tout le monde le dit, mes copines, la référente au Centre Social, tous ceux qui travaillent ». Le fait que de toutes petites, ces filles ne voient que des femmes dans le rôle d’aidantes, que les professionnel·le·s du care soient majoritairement des femmes, les amènent à croire en l’existence d’une nature féminine prédisposant les femmes au métier du care. Pour elles, pour travailler dans le care, une compétence suffit: aimer. Et ça , les femmes connaissent.
Faire par amour
Ainsi, Mélody « aime beaucoup les enfants handicapés et les personnes âgées ». Sa mère « aime trop les personnes âgées ». Alissia « aime trop les enfants ». Ni maman, ni professionnelle du care (tutrice de stages, animatrice, éducatrice) ne décourage l’orientation des filles . A domicile, le travail du care n’est pas un travail puisqu’il est fait par amour, dans une logique de don. Salariées du care, les femmes accomplissent , dit-on souvent, ce travail par amour. Et quand on aime, on peut trouver du sens à accepter l’inacceptable : un salaire réduit et un temps partiel subi. Mélody est consciente des horaires morcelés de sa mère et de la difficulté de celle-ci à joindre les deux bouts. Mais, ça vaut la peine.
Succès et invisibilité
Les filles ont arrêté leurs choix professionnels. Bien liés aux besoins de la société. « On aura toujours besoin de s’occuper des gens et surtout des mémés » conclut Mélody . Elle n’ajoute pas « comme vous » mais elle sourit. Elle pense que ça va être facile. Et ça me gène. Souci de l’autre, disponibilité, prévention des conflits, endurance, technicité… Elles en feront preuve. Je regrette que toutes ces compétences mises en oeuvre au quotidien par leurs mères et par les salarié·e·s du care soient invisibles. Passées sous silence. « Pour être efficace, le travail du care doit s’effacer comme travail; de son invisibilité dépend son succès. » (Molinier, 2006). On se dit au-revoir. Les filles s’éloignent, il est temps de rentrer le chien.