Caissières : Une histoire de femmes

Un métier de femmes : caissière

Métier de femmes, métier déclassé, il y a encore deux mois le métier de caissière était en voie de disparition. A l’heure du confinement, les caissières  deviennent des  héroïnes du quotidien, applaudies au balcon, louées par le Président de la République. Voici l’histoire de ce métier en France, de l’apparition des Grands Magasins à nos jours. 

Caisse automatique ou caisse classique, les caissières, assises ou débout,  sont présentes dans nos vies, a minima, quarante-huit fois par an. Une enquête de l’INSEE publiée en 2015, et qui a pour objet les habitudes des consommateurs, affiche que « la durée moyenne qu’un consommateur consacre à ses courses est de 23 minutes hebdomadaires » soit, 1114 minutes par an. Aujourd’hui, en France, on répertorie environ 273 900 de caissiers , dont 90% sont des femmes.

Pourtant, en 1866, caissier est un métier d’hommes

A l’origine, ce travail est un travail technique. Inscription sur des livres de caisse des prix des articles, d’un calcul de la somme due, encaissement, récapitulation sur les feuilles de caisse, remise de la recette quotidiennement, en fin de journée, à la caisse principale. C’est un travail d’homme. On recrute les premières femmes en caisse  à la fin du 19ème. Elles travaillent sur les caisses les moins fréquentées. La crise de 1930 et la Deuxième Guerre Mondiale, la fin de la croissance et le début des restrictions, contraignent ces « cathédrales » de la consommation  à restreindre leurs surfaces, et à réduire leurs effectifs. Une rationalisation de l’organisation du travail, entraîne la hausse du recrutement d’un personnel féminin, – vendeuses, caissières, personnel d’entretien- rémunéré 20% de moins que les hommes.

Des années 50 au libre-service - la vendeuse caissière , plus caissière que vendeuse

Dans les années cinquante, la mécanisation intègre la caisse enregistreuse à la vente et, combinée à la rationalisation, donne naissance à un nouveau poste polyvalent et féminin, le poste de vendeuse-caissière. Dans les grands magasins, la sexuation des postes est indéniable.  Les hommes s’affairent à la réserve et à la manutention, les femmes, à la vente et à l’encaissement. Le poste de vendeuse caissière, création hybride nettement sexuée, balaye l’expertise.   Il intègre à la femme, l’objet qu’est la caisse enregistreuse. Cette non reconnaissance d’une expertise se traduit par une absence déclarée de besoins en qualifications.  Elle se matérialise « naturellement », pour ce métier féminin, en une rémunération situé au bas de la grille salariale.

L’économie française se redresse entre les années 50 et le début des années 60. La France entre dans une phase de prospérité. Le salariat -notamment féminin-, est en pleine croissance, le pouvoir d’achat augmente.  On veut et on peut consommer. En 1966, un hypermarché Carrefour ouvre à Vénissieux.  Il occupe 9500 mètres carrés de surface de vente et compte cinquante caisses enregistreuses.

Quand la caisse intègre l'hôtesse

De 1963 à nos jours, dans la grande distribution, la caisse contrôle la caissière.   En bout de chaîne, détachée de la vente et des rayons, cette dernière répète les mêmes gestes. La mécanisation et l’outil régissent son corps et son esprit. Au-delà de la décérébration causée par la répétition de gestes prescrits, la caissière est soumise à des injonctions paradoxales génératrices de stress. Dans un souci de fidélisation de la clientèle et de personnalisation de l’enseigne, elle doit se montrer aimable et souriante à l’égard d’un client qu’il lui faut également encaisser et « fliquer ». Ceci est source potentielle de conflits qu’elle doit prévenir et gérer.

Pourtant, on ne lui reconnait pas de compétences en matière de prévention et de gestion de conflits .  Si elle n’est plus vendeuse, la caissière ne devient pas « gestionnaire des conflits à un poste de caisse ». Elle devient   « hôtesse de caisse ». La sécurité reste un bastion masculin.  On reconnait  au mieux à la caissière  la mobilisation de  compétences féminines « naturelles » d’apaisement.  Au pire, une incapacité à gérer ses émotions.

En concurrence avec des machines

En 2004, dans un souci de gain en rapidité lors du passage en caisse, l’hypermarché intègre les caisses automatiques.  Il les  mixe au parc des caisses enregistreuses. Le client effectue à la place de la caissière, le scan des articles et leur encaissement. La caissière traditionnelle est ainsi remplacée par une machine et par un client, « bénévole » à son insu. Le peu de compétences relationnelles qui lui étaient encore parfois reconnues, est nié. Dès que les technologies du sans contact permettront le scan d’un chariot plein – opération déjà rendue partiellement possible par le « scan achat » du client- le poste de caissière tel qu’il est encore connu aujourd’hui, n’existera plus.

De fait, le scan achat et la caisse automatique ont déjà créé un nouveau type de métier sexué : les caissières les plus anciennes, supervisent le « travail » des clients.  Debout devant l’allée réservée aux caisses automatiques et aux caisses scan, elles interviennent directement auprès d’eux, en cas de dysfonctionnement. Cependant, leurs compétences en matière de transfert de savoirs, ne sont ni reconnues, ni valorisées.   Si « le travail salarial est un des constituants de l’identité », les caissières soumises à un travail dévalorisant, dévalorisé, sans avenir, ont mal à leur identité.

Mais ça, c'était avant

Depuis le Covid 19, chaque soir à 20 heures, nous applaudissons nos nouvelles héroïnes. La tendance aujourd’hui étant  aux chariots pleins  non encore techniquement pris en charge  par les caisses automatiques,  les caissières trouvent une utilité. Quand nous reprendrons le cours normal  des choses,  que nos chariots désempliront, que 20 heures n’entendra plus aucun applaudissement, nos héroïnes du jour perdront-elles à nouveau leur avenir ?